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Souffrance morale : La Vérité Sur L’Évitement et Comment l’ACT Peut Vous Aider

Interview d’un psychiatre François BOURGOGNON sur la téhrapie ACT



Pour une version très résumée :

Dans cet épisode de Dialogue, François Bourgognon parle de l’ACT, une méthode de thérapie développée par Steven Hayes.

L’ACT aide les gens à accepter leurs émotions plutôt qu’à les fuir. Au lieu de lutter contre les sentiments négatifs, elle encourage à les accueillir et à agir en fonction de ses valeurs.

Il est normal de ressentir de la tristesse ou de l’angoisse. L’ACT nous apprend à accepter ces émotions comme une partie de la vie, car elles nous donnent des informations importantes sur nous-mêmes.

Contrairement à l’idée que l’on doit seulement rechercher des émotions positives, l’ACT montre que les émotions négatives ont aussi leur place.

emotions negatives depression

L’ACT déconseille de voir ces émotions comme des problèmes à résoudre avec des médicaments. Au lieu de cela, il vaut mieux comprendre et accepter ces sentiments.

Le bonheur ne vient pas de l’absence de souffrance, mais de l’engagement dans des activités qui ont du sens, même si elles sont difficiles.

Chercher simplement le confort peut nous empêcher de trouver un vrai accomplissement.

illustration alpinisme ACT

Pour expliquer cela, Bourgognon utilise l’exemple d’un alpiniste.

Imaginez que vous devez gravir une montagne, mais qu’une fois sur place vous réalisez qu’elle est entourée de marécages. Cette ascension est l’un de vos rêves les plus fous, mais vous ne connaissiez pas l’existence de ces marécages.

Vous pouvez choisir de rester dans un endroit confortable… Ou d’affronter les marécages pour atteindre le sommet. Chercher uniquement le confort peut nous immobiliser, tandis que surmonter les obstacles peut nous apporter un vrai sentiment de dépassement et de fierté..

Il est aussi important de donner du sens aux actions de la vie quotidienne. Par exemple, au lieu de voir se laver les dents comme une tâche banale, pensez à comment cette action s’inscrit dans vos valeurs.

Steven Hayes, le créateur de l’ACT, a développé cette méthode après avoir lui-même souffert de crises de panique. Il a appris que lutter contre ses émotions n’était pas la solution et a découvert l’importance de les accepter.

L’ACT insiste sur la flexibilité mentale, c’est-à-dire accepter ce que l’on ne peut pas changer et avancer vers ce qui est important pour nous. Se battre contre les émotions peut être contre-productif. La meilleure approche est d’accepter la réalité et de trouver des moyens de progresser malgré les difficultés.

Au lieu de chercher à contrôler tout ce qui nous arrive, l’ACT nous encourage à accepter nos émotions et pensées. L’idée est que lutter contre elles ne fait souvent qu’aggraver la souffrance.

En résumé, même si la méditation et l’ACT sont souvent mal utilisés aujourd’hui, leur vrai potentiel est d’aider les gens à vivre une vie plus pleine en acceptant les expériences et en suivant ce qui est vraiment important pour eux.

Dans cet épisode de Dialogue, François Bourgognon, un des principaux représentants de la thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT) en France, discute de l’approche développée par Steven Hayes. L’ACT est une méthode thérapeutique reconnue pour son efficacité et ses fondements scientifiques.

Points Clés de l’Interview :

points cles ACT

Concept Fondamental de l’ACT :

Lutte et Évitement : L’ACT part du principe que nos réactions automatiques face à des émotions négatives, comme la lutte ou l’évitement, sont souvent contre-productives. Au lieu d’aider, elles nous épuisent et nous empêchent de réagir de manière efficace.

Acceptation et Engagement : L’objectif est d’accepter nos émotions et de s’engager dans des actions qui correspondent à nos valeurs, plutôt que de chercher à éviter la souffrance.

Normalité des Émotions Pénibles : Ressentir de l’angoisse ou de la tristesse est naturel et inévitable. L’ACT encourage à accepter ces émotions plutôt qu’à lutter contre elles, car la lutte elle-même est épuisante et inefficace.


Critique du Positivisme :

Émotions Positives vs. Négatives : L’idée que nous devons éviter les émotions négatives et rechercher uniquement les positives est critiquée. Les émotions douloureuses ont une raison d’être et ne doivent pas être considérées comme négatives en soi.

Utilité des Émotions : Les émotions fonctionnent comme des voyants sur le tableau de bord d’une voiture ; elles nous fournissent des informations importantes sur nos besoins et notre état intérieur.

illustration voyant voiture ACT


Approche Thérapeutique :

L’ACT déconseille de pathologiser des réactions émotionnelles normales, comme par exemple la tristesse liée à la perte d’un être cher.

Au lieu de chercher à éliminer ces émotions avec des médicaments, il est préférable de les accepter et de les comprendre.


1. Modèles Thérapeutiques :

Modèle Contextualiste : François Bourgognon explique que l’ACT adopte un modèle contextualiste ou fonctionnel.

Dans ce modèle, les émotions telles que la tristesse après une perte sont considérées comme faisant partie intégrante du contexte.

Accepter ses émotions comme naturelles et inévitables est plus efficace que de tenter de les éviter ou les résoudre. En cherchant à échapper à cette douleur, on se nuirait davantage.

2. Perspective sur la Souffrance et le Bonheur :

Souffrance et Bonheur : Fabrice Midal, philosophe, souligne que le bonheur ne réside pas dans une absence constante de souffrance. Selon lui, le véritable bonheur implique d’être engagé dans des activités significatives, même si elles comportent des défis et des douleurs. Le bonheur ne doit pas être confondu avec le bien-être permanent.

Double Punition : La croyance que la souffrance est un dysfonctionnement ou une erreur conduit souvent à une double punition : la douleur elle-même et le sentiment de culpabilité pour cette douleur.


Réflexion sur la Vie et le Regret :

Regret de Fin de Vie : François Bourgognon note que de nombreuses personnes, en fin de vie, regrettent de ne pas avoir activement cherché à être plus heureux. Beaucoup réalisent alors que la quête de confort avait pris le pas sur ce qui était véritablement important pour eux.

4. Métaphore de l’Alpiniste :

Choix entre Confort et Accomplissement : Bourgognon utilise la métaphore de l’alpiniste pour illustrer le modèle ACT. Imaginez une montagne que vous souhaitez gravir, mais qui est entourée de marécages. Vous avez deux choix :

Chercher le Confort : Faire demi-tour pour éviter les marécages et rester dans une zone de confort temporaire.

Accepter l’Inconfort : Traverser les marécages malgré l’inconfort pour atteindre l’accomplissement et le sens que représente l’ascension de la montagne.

Le Piège du Confort : Penser qu’on peut avoir à la fois confort et accomplissement est un piège. Souvent, assurer son confort conduit à l’immobilisme, tandis que l’accomplissement demande de surmonter les difficultés.

1. Différence entre Perspectives Mécanique et Contextualiste :

Exemple de se laver les dents : Fabrice Midal illustre la différence entre une perspective mécanique (se laver les dents comme une action isolée) et une perspective contextualiste (donner du sens à cette action dans le cadre plus large de sa vie et de ses valeurs).

2. Origines de l’ACT :

Steven C. Hayes : François Bourgognon explique que Steven C. Hayes, psychologue clinicien et professeur, est le fondateur de l’ACT. Hayes a développé l’ACT dans les années 80, suite à ses propres expériences de crise d’angoisse. Son livre grand public, publié plus tard, résume ses recherches et l’évolution de sa perspective.

Développement et Réception : La première présentation formelle de l’ACT date de 1999 aux États-Unis. La thérapie a mis plusieurs années à arriver en France, et elle est maintenant bien établie avec de nombreuses publications scientifiques.

3. Changement de Perspective de Hayes :

Expérience Personnelle : Hayes a commencé à développer l’ACT après avoir souffert de crises de panique et réalisé que les stratégies de lutte et d’évitement ne faisaient qu’aggraver ses symptômes. Il a appris à accepter ses émotions plutôt que de les combattre.

4. Impact et Révolution de l’ACT :

Croissance Scientifique : L’ACT est devenue l’une des approches thérapeutiques les plus populaires et validées scientifiquement, avec une explosion des publications dans les dernières années. Elle est reconnue comme une avancée importante dans le domaine des thérapies comportementales et cognitives.

5. Flexibilité Psychologique et Acceptation :

Acceptation Active : L’acceptation dans l’ACT ne signifie pas se résigner, mais plutôt faire avec ce qu’on ne peut pas changer. La flexibilité psychologique est centrale : il s’agit d’adapter ses réponses pour avancer vers ce qui donne du sens à la vie, au lieu de s’enfermer dans des stratégies de lutte inefficaces.

Métaphore des Sables Mouvants : Se battre contre les sables mouvants de la souffrance est contre-productif. La meilleure stratégie est d’augmenter la surface de contact avec les sables et de se déplacer lentement, ce qui reflète l’idée d’acceptation dans l’ACT.

6. Comparaison avec le Contrôle Externe :

Contrôle Externe vs. Interne : Tandis que les stratégies de contrôle fonctionnent bien dans le monde externe (par exemple, éteindre une fuite d’eau), elles échouent souvent dans le monde interne des émotions et des pensées. L’ACT propose de changer d’approche face à ce qui est incontrôlable.

7. Réflexion sur les Stratégies de Lutte :

Exercice de l’Ours Blanc : La lutte contre des pensées ou émotions, comme essayer de ne pas penser à un ours blanc, est inefficace. Accepter et laisser ces pensées se dissiper est la meilleure approche.

Stratégies Inefficaces : L’ACT aide à reconnaître et à abandonner les stratégies de lutte contre-productives qui ne font que renforcer la souffrance.

8. Importance de la Flexibilité Psychologique :

Efficacité et Burnout : La lutte incessante pour maintenir l’efficacité au travail, même lorsqu’on est épuisé, peut mener au burnout. L’ACT encourage à reconnaître la fatigue et à adopter des stratégies plus adaptées pour avancer vers ce qui a du sens.

Résumé de la Conclusion de l’Interview :

1. Évolution de la Méditation :

Pratique Traditionnelle vs. Utilisation Moderne : François Bourgognon souligne que la méditation, dans ses formes traditionnelles, visait à accueillir pleinement l’expérience, y compris la douleur et les blessures, avec une attitude de bienveillance et d’écoute. Aujourd’hui, elle est souvent utilisée comme un outil pour échapper à des émotions ou pour se contrôler, ce qui est à l’opposé de son intention originelle. Cette dérive vers l’évitement expérientiel peut rendre les gens encore plus malheureux.

2. ACT et Méditation :

Intégration des Principes : L’ACT se distingue en intégrant les principes de la méditation (comme l’acceptation et la diffusion) sans nécessairement recourir à des pratiques formelles. Elle utilise des exercices et des métaphores pour travailler sur l’instant présent, l’acceptation et la diffusion des pensées, ce qui est souvent plus adapté dans un contexte de psychothérapie, notamment pour ceux en crise ou en dépression.

3. Valeurs vs. Objectifs dans l’ACT :

Importance des Valeurs : Dans l’ACT, les valeurs sont centrales car elles représentent les grandes orientations du cœur et donnent du sens aux actions. Contrairement aux objectifs, qui sont des buts à atteindre, les valeurs sont des directions à suivre. Elles permettent de vivre en accord avec ce qui est réellement important, offrant un sentiment d’accomplissement profond qui perdure au-delà des objectifs atteints.

4. Crise du Milieu de la Vie et Valeurs :

Réorientation de la Vie : Clarifier ses valeurs aide à réorienter sa vie vers des actions en accord avec ses aspirations profondes. Même après avoir atteint des objectifs traditionnels, se concentrer sur les valeurs permet de trouver un sens plus profond et durable. Cela est particulièrement utile en périodes de crise, comme pendant la pandémie, pour maintenir un sens et une direction.

5. Conseils pour Découvrir et Intégrer ses Valeurs :

Réflexion Personnelle : Commencez par réfléchir à ce qui est vraiment important pour vous, ce qui vous apporte une satisfaction profonde. Identifiez vos valeurs en vous posant des questions telles que : « Qu’est-ce qui me rend fier ? Quelles qualités veux-je incarner ? » Ensuite, trouvez des moyens concrets, même petits, d’exprimer ces valeurs dans votre vie quotidienne. Concentrez-vous sur le processus d’alignement avec vos valeurs plutôt que sur des objectifs fixes.

6. Conclusion :

Méditation et ACT comme Outils : La méditation et l’ACT, lorsqu’ils sont compris et utilisés correctement, peuvent offrir des outils puissants pour mener une vie plus alignée et significative. Les pratiques doivent viser l’accueil des expériences et l’alignement avec les valeurs plutôt que l’évitement ou le contrôle.


Veuillez trouver ici la transcription complète de cette interview :

Francis Midal : Notre esprit est parfois coincé dans des mécanismes de répétition qui nous enferment. Comment avoir un esprit libéré ? C’est le projet de Steven Hayes, un des plus importants psychothérapeutes aujourd’hui. Pour présenter son approche, l’ACT, une des approches les plus connues dans le monde thérapeutique et qui a été le plus étudiée scientifiquement, je reçois dans cet épisode de Dialogue François Bourgognon, un des plus importants représentants de cette méthode en France. Il va nous aider à comprendre pourquoi ce nouveau modèle est à ce point aidant et éclairant, quelles que soient nos difficultés.

Francis Midal : Bonjour François, je suis vraiment très content de te recevoir pour parler d’un livre qui est important pour toi, pour moi, et qui est un livre majeur : le livre de Steven Hayes, Un esprit libéré : le guide de la thérapie d’acceptation et d’engagement. C’est un livre qui fait date et qui parle d’un changement de perspective des thérapies, un modèle que tu défends toi-même.

Tu as écrit le Que sais-je ? sur l’ACT et tu es toi-même psychiatre et thérapeute utilisant cette méthode. Merci beaucoup de venir présenter ce livre. La grande idée au cœur de ce livre, c’est que ce qui nous rend heureux et ce que nous faisons face à nos difficultés et nos douleurs, ce n’est pas toujours la meilleure approche.

François Bourgognon : Oui, tout à fait. C’est vraiment le point de départ de l’approche ACT, qui signifie « Acceptance and Commitment Therapy ». C’est un acronyme anglo-saxon traduit par « thérapie d’acceptation et d’engagement ». Le postulat de départ est de considérer que, face à des événements difficiles et à l’adversité, nous avons tendance à réagir automatiquement en luttant ou en évitant. Cette réactivité joue souvent contre nous, car elle nous place en conflit vis-à-vis de ce que nous ressentons. Le fait d’être en lutte ou dans l’évitement vis-à-vis de nos ressentis nous prend toute notre énergie, sans être efficient, et nous empêche de développer des réponses en accord avec ce que nous portons en nous, des réponses réellement opérantes.

Francis Midal : Si je suis angoissé, la première chose que je veux faire, c’est de ne plus l’être. Ai-je tort ?

François Bourgognon : En résumé, oui, c’est un peu ça. Mais il y a de bonnes raisons qui nous poussent à tout faire pour ne pas ressentir cette angoisse. Personne n’a envie de ressentir de l’inconfort émotionnel. C’est naturel de ne pas vouloir être en contact avec quelque chose de pénible, mais ce n’est pas une bonne idée. En tant qu’être humain, nous sommes traversés par des sensations pénibles et des émotions inconfortables. Cela fait partie du fonctionnement psychologique normal. Par exemple, il est normal de ressentir de la colère, de la tristesse ou de l’anxiété dans certaines situations. Non seulement c’est normal, mais c’est inévitable, de la même façon que si on me tape sur la main avec un marteau, j’aurai mal. Puisque c’est inévitable, il y a mieux à faire que de chercher à l’éviter. Le mieux est de dégager l’énergie de la lutte contre nos ressentis pour la mettre au service de ce qui compte réellement pour nous. C’est un changement total de perspective. Plutôt que de chercher en permanence à se sentir confortable, l’enjeu est d’essayer de répondre habilement à ce que l’on vit, même en présence de la souffrance.

Francis Midal : Moi, c’est évidemment un livre et un travail qui m’ont beaucoup marqué. Cela va à l’encontre de tout ce qu’on nous raconte à longueur de journée, où il faudrait cultiver les émotions positives et éviter les émotions négatives. On nous répète souvent : « Soyez positif, évitez les émotions négatives. » Cette idée-là est-elle complètement fausse ?

François Bourgognon : Oui, tout à fait. En réalité, il n’y a pas d’émotions négatives. C’est une croyance qui nous empêche de nous relier à nous-mêmes. Il y a des émotions difficiles, douloureuses, pénibles, mais elles ont une raison d’être. Elles ne sont pas du tout négatives, elles ont une raison d’être. C’est un changement profond de perspective.

Je pense que, au cours de notre échange, je vais te donner plusieurs exemples. Il y a beaucoup de métaphores et d’exercices dans cette méthode.

Moi, la métaphore que j’adore, c’est de dire en fait les émotions, c’est un peu comme les voyants sur le tableau de bord d’une voiture. Quand les voyants s’allument, bah c’est désagréable, mais c’est vachement utile parce que ça me donne une information. Et si j’en prends pas compte, si j’en tiens pas compte, je vais tomber en panne ou je vais casser le moteur. Donc bien évidemment, quand les voyants s’allument, la bonne stratégie, ce n’est pas de débrancher le fil de l’ampoule pour les éteindre, parce que sinon, ok, ça s’allume plus, mais je me prive d’une information qui est très importante pour moi. Bien entendu, la bonne stratégie, c’est de prendre en compte l’information qui m’est délivrée par les voyants et d’agir en conséquence pour éviter de tomber en panne. Les émotions, c’est exactement la même idée : c’est un peu comme nos voyants et ça nous alerte finalement sur nos propres besoins et sur ce qu’on est en train de vivre. Ça nous remue pour qu’on puisse essayer d’une certaine manière de nous mobiliser pour trouver une réponse adéquate.

Fabrice Midal : Effectivement, on est dans une époque qui prône le positivisme et le bien-être à tout prix, et ça, c’est totalement contre-productif.

François Bourgognon : Tout à fait, mais en tout cas, ça nous questionne. C’est très important d’avoir cette compréhension-là parce que quand je suis en face d’une personne qui fait une dépression profonde, qui peut être induite par une dysrégulation de l’humeur, à ce moment-là, je vais plutôt être sur un postulat mécaniciste tel que mes collègues médecins somaticiens vont avoir comme posture générale. Et donc, je vais mettre en place des traitements médicamenteux. Mais la même personne, une fois sortie de son état dépressif, elle va peut-être vivre à certains moments des moments comme la perte d’un être cher et ressentir la tristesse. Et peut-être qu’elle viendra me questionner sur la nécessité de remettre en place un traitement antidépresseur. Mais à ce moment-là, le fait d’être triste ne doit pas être lu comme un symptôme à traiter mais comme une réaction psychologique normale et inévitable quand on vit la perte d’un être cher. Parce que c’est ce qu’on dit en fait : on dit que le seul moyen d’être moins triste à la perte d’un être cher, c’est de moins l’aimer. Et la dernière chose à laquelle on voudrait qu’on touche quand on perd un être cher, c’est l’amour qu’on avait pour le défunt. Donc en fait, le prix à payer de cette perte, c’est la tristesse. On dit que c’est les deux phases d’une même pièce, en fait. Et à un millimètre derrière la tristesse, on trouve tout l’amour qu’on avait pour le défunt. Donc quand je considère que la tristesse à ce moment-là est une réaction psychologique normale et inévitable, le fait de la pathologiser et de rentrer en conflit avec elle ou de dire « je vais vous donner un traitement parce qu’il faut absolument que ça cesse », c’est totalement contre-productif. Parce que justement, en plus, les recherches qui soutiennent la thérapie d’acceptation et d’engagement montrent que le cœur du réacteur en psychopathologie, ce n’est pas tant l’inconfort qu’on ressent de façon normale ou consécutive à ce qu’on vit, mais c’est tout ce qu’on va mettre en place pour essayer d’y échapper ou de le résoudre. Et c’est cette lutte ou cette tendance à l’évitement qui finalement nous abîme dans tous les sens du terme et nous conduit à la pathologie.

François Bourgognon : C’est quoi l’autre modèle alors ? Si on n’a pas un modèle mécaniciste, donc là, ça serait ce qu’on appelle du contextualisme, c’est fonctionnel. C’est-à-dire qu’on va considérer que la tristesse dans le cadre, donc de la perte, parce que je prends cet exemple parce que c’est le plus typique et celui qui souffre aucune discussion, mais dans ce cas-là, on va dire : la tristesse, elle fait partie du contexte dans lequel on est avec lequel il faut faire. Et en fait, la grande vérité, c’est que quand on perd un être cher, on a rien de mieux à faire que d’être triste. Et que finalement, tout ce qu’on mettra en place pour essayer d’y échapper ou de le résoudre se retournera contre nous. Donc finalement, la grande vérité, c’est que quand on est un être humain, il y a beaucoup de situations où le mieux que l’on puisse faire, c’est d’avoir mal. Et que tout ce qu’on mettra en place pour essayer d’y échapper ou de le résoudre, ça équivaudra à se tirer en plus une balle dans le pied. Et ça, c’est un changement de perspective radical et qui est totalement salvateur pour aborder des problématiques où on est en face effectivement d’une adversité.

François Bourgognon : Et c’est ce que j’ai tendance à dire, c’est-à-dire que plus c’est dur, plus c’est massif, plus c’est insoluble, et plus c’est opérant. Parce qu’en fait, quand on est face à l’insoluble, eh bien on n’a pas d’option pour résoudre.

Fabrice Midal : Alors l’arrière-plan de ça ou de ce que je trouve, moi, en tant que philosophe, tout à fait remarquable, c’est que le bonheur ne consiste pas dans le bien-être tout à fait. C’est le mensonge que être heureux voudrait dire être content tout le temps en permanence. Mais le bonheur, c’est être engagé dans sa vie, sentir qu’on fait des choses qui ont du sens pour nous. Et donc ça n’a rien à voir avec la grande idée, disons, en philosophie d’Aristote que voilà, c’est trouver sa vocation, trouver le sens de ce qu’on fait, faire des choses et que ça implique une vie heureuse n’est pas une vie sans douleur et sans souffrance. Mais comme nous pensons que une vie heureuse c’est le bien-être, nous pensons chaque fois que nous souffrons que nous sommes en faute, qu’il y a un dysfonctionnement, et donc on se sent coupable. Au fond, c’est la double punition.

François Bourgognon : Absolument. Et alors moi, j’aime bien parler, parce que ça c’est quelque chose qui parle à tout le monde en fait, c’est que quand on interroge nos aînés à la fin de leur vie sur leur plus grand regret, un des regrets qui revient le plus souvent, c’est : « J’aurais dû me donner les moyens d’être plus heureux. » Entendu comme la compréhension sur son lit de mort que d’être heureux, c’est quelque chose qui nécessite qu’on s’y engage activement et qui ne tombe pas dessus par hasard. Et que finalement, ce qui a beaucoup commandé l’existence, c’était plutôt la recherche de confort. Et il y a cette clarté de vision à la fin de la vie où on se dit : « Mais finalement en fait, je suis passé un peu à côté de ce qui était important pour moi parce que j’ai accroché cette idée que finalement le but de la vie, c’était d’être confortable, alors qu’en fait, c’est toute autre chose. »

Et alors il y a une métaphore qui pose vraiment bien, je trouve, le modèle ACT. C’est la métaphore de l’alpiniste en fait. C’est une métaphore qui consiste à se représenter qu’on est alpiniste. Voilà, c’est notre vie, on est alpiniste, et il y a une montagne à l’autre bout de la planète qu’on a toujours rêvé de gravir. Donc c’est une montagne sur laquelle on a tout lu, on connaît tout. Et puis ça y est, il arrive enfin le jour où on peut faire le voyage. Donc on arrive au pied de la montagne. Alors là, c’est une grande surprise pour nous, parce que jamais personne ne nous l’avait dit, c’était écrit nulle part, mais la montagne est cerclée par des marécages. Et on fait tout le tour, et il n’y a pas moyen d’y échapper. C’est-à-dire que si je veux faire cette ascension qui est très importante pour moi et qui donne du sens à ma vie, il va falloir que je traverse les marécages. Et alors là, j’ai que deux options.

C’est soit je suis guidé par la recherche de confort et je fais demi-tour parce que je ne veux pas me mouiller, mais c’est un confort qui est confortable que à court terme, hein, parce que je me prive de quelque chose d’essentiel pour moi ; soit j’accepte de traverser les marécages, pas parce que ça m’éclate, mais parce que c’est un inconfort incompressible pour pouvoir faire une ascension qui donne fondamentalement du sens à ma vie. En fait, quand on regarde bien, il y a beaucoup de situations dans notre vie qui se jouent de cette manière-là, où on a simplement le choix, seulement le choix entre le confort, qui n’est pas très confortable, qui en tout cas n’est que à court terme, ou l’accomplissement. Et il y a un piège, et c’est un piège absolu, c’est de penser qu’on peut tout avoir : le confort et l’accomplissement. Et pourquoi c’est un piège ? Parce que dans ces cas-là, on commence d’abord par s’assurer de son confort et après on est figé, on ne peut plus bouger. Et donc, c’est exactement le point de départ de la thérapie d’acceptation et d’engagement : c’est de pointer le fait que la recherche de confort et la recherche d’accomplissement ce n’est pas du tout la même direction.

Fabrice Midal : Pour expliquer la différence entre la perspective mécanique et contextualiste, tu montres très bien juste l’exemple de se laver les dents. Se laver les dents, on peut dire : voilà, je prends la brosse à dents, je mets du dentifrice et je me lave les dents. Mais ça ne donne pas du tout le sens, la place que ça prend dans ma vie et pourquoi je le fais. Et donc le contextualisme, c’est donner toute l’ampleur à la chose. Je trouve que ça permet vraiment de comprendre ce changement de perspective. Peut-être qu’on pourrait raconter comment s’est fondé ACT, à quel moment et comment ça a été reçu, comment ça s’est développé ?

François Bourgognon : Oui, aujourd’hui on parle de l’ouvrage de Steven C. Hayes. Steven C. Hayes, c’est vraiment l’instigateur de cette approche. Il est psychologue clinicien, chercheur, professeur de psychologie à l’Université du Nevada à Reno. C’est un personnage très impressionnant, très respecté dans le milieu de la psychologie. Il est considéré comme l’un des scientifiques les plus importants en psychologie actuellement. Né en 1948, il a 75 ans. Il a écrit des centaines d’articles scientifiques dans des revues à comité de lecture et aussi une cinquantaine d’ouvrages. Il est extrêmement prolifique. Et ce livre-là, c’est le seul livre grand public. Les autres livres sont des ouvrages très techniques. Et il a vraiment, à la fin de sa vie, publié ce livre pour le grand public, où il fait le bilan de son travail. Il explique comment il a commencé à travailler et ce changement de perspective.

Fabrice Midal : Donc il explique que c’était vraiment au tout début des années 80. Ce qu’il faut savoir, c’est que la thérapie ACT est relativement récente. Le premier livre présentant la méthode, écrit avec deux de ses collègues, date de 1999. Et donc ça, c’était aux États-Unis, et ce livre, à ma connaissance, n’a jamais été traduit en français. Le temps que la thérapie ACT arrive en France, cela a encore pris quelques années. Donc cela ne fait pas si longtemps que finalement nous avons ce modèle.

François Bourgognon : Il dit qu’au début des années 80, il devait avoir entre 35 et 40 ans. À ce moment-là, il était un jeune chercheur, très anxieux, et il a déclenché un trouble panique, c’est-à-dire la survenue d’attaques de panique ou de crises d’angoisse récurrentes. Il raconte que c’est arrivé après un conflit professionnel d’une violence, je cite, « que seuls les bêtes féroces et les professeurs d’université sont capables ». Après ce conflit professionnel, il a commencé à présenter des crises d’angoisse dévastatrices et il était systématiquement emporté par des réflexes de lutte contre cette angoisse : la tendance à vouloir contrôler ou échapper à cette émotion. Il décrit dans son livre des pages très poignantes, comme lorsqu’il se retrouve dans une réunion loin de la porte, ne peut plus dire un mot, a de la sueur, tremble, et a l’impression qu’il va mourir.

Fabrice Midal : C’est très beau de voir un psychiatre qui parle de sa propre expérience, qui n’est pas dans une position de surplomb mais qui comprend aussi profondément la souffrance et qui essaie de donner des éclaircissements très concrets. Donc lutter contre ses troubles de panique, éviter de les sentir, éviter de se mettre dans des situations où il pourrait se retrouver en public, ça ne fonctionne pas du tout. En fait, il dit que ça s’est presque imposé à lui : à un moment, il a changé de perspective, il parle de pivot. Il a arrêté d’être en conflit avec son émotion et a commencé à la considérer comme quelque chose qui le traversait, quelque chose qui faisait partie de son expérience, mais qu’il pouvait accueillir au lieu d’être en conflit ou de chercher à y échapper. Ce changement d’orientation mentale vis-à-vis de ses propres ressentis a été le point de départ des développements et recherches qui constituent la base scientifique de la thérapie d’acceptation et d’engagement.

François Bourgognon : Pourquoi ça a eu un tel impact aujourd’hui ? Parce qu’il y a beaucoup de psychiatres qui se revendiquent d’ACT. C’est l’un des modèles thérapeutiques les plus en croissance et le plus validé scientifiquement. C’est un modèle comportementaliste au départ, donc il y a cette culture dans la grande famille des thérapies comportementales et cognitives de mettre au ban de la recherche les principes qui sont amenés. C’est vraiment une thérapie fondée dans la méthode scientifique et en lien constant avec la recherche. Ce qui est intéressant, c’est qu’entre le début des années 2000 et 2020 à peu près, il y a eu environ un millier de publications scientifiques sur la thérapie d’acceptation et d’engagement, et le nombre de publications a littéralement explosé ces 3-4 dernières années. Ça témoigne de l’engouement actuel pour cette approche.

Fabrice Midal : C’est assez intéressant de l’observer. Et pourquoi c’est important ? Parce que la psychiatrie existe et oui, il y a des troubles qui nécessitent des stratégies médicamenteuses et des outils psychoéducatifs particuliers. Mais la psychologie aussi, et on n’est pas toujours dans les mêmes postulats philosophiques. Il y a des troubles qui sont complètement imbriqués entre des processus biologiques et des processus psychologiques. Pour appréhender les processus psychologiques, on ne peut pas faire du mécanicisme. Il faut appréhender les choses autrement. C’est pour ça que parfois, les approches psychologiques sont considérées comme un peu décalées ou farfelues par d’autres soignants, parce qu’on ne comprend pas toujours pourquoi la réponse n’est pas purement médicamenteuse ou résolutoire. Mais c’est parce qu’on change de perspective pour appréhender les difficultés des patients. C’est une grande révolution par rapport aux thérapies comportementales, que je trouvais simplistes et mécaniques. La découverte d’ACT a été pour moi une grande révolution, parce que philosophiquement, le modèle tient le coup dans la révolution du bonheur et corroborait mon expérience dans la méditation, où on entre en rapport avec ce qui est douloureux.

François Bourgognon : Peut-être pour finir, expliciter le terme d’acceptation, car c’est un mot qui reste parfois mal compris. L’acceptation, ce n’est pas juste accepter au sens banal du terme. C’est un mot difficile à manier dans un contexte de soin psychothérapique, car il est souvent entendu comme baisser les bras, se résigner ou être d’accord avec. Mais dans le contexte de la thérapie, on parle plutôt d’acceptation active, entendue comme faire avec ce qu’on ne peut éviter ou changer. Il y a un scoop : dans notre vie, il y a des choses sur lesquelles on peut agir et d’autres qu’on ne peut pas contrôler. Si on cherche à contrôler l’incontrôlable ou à éviter l’inévitable, on perd une énergie folle, cette énergie renforce la négativité de ce qu’on ressent, et en plus elle est perdue. On ne peut plus la mettre au service de ce qui est important pour nous. C’est une quadruple peine en fait.

François Bourgognon : Donc l’acceptation active est effectivement au cœur du modèle ACT, et elle vient contrer ce qu’on appelle l’évitement expérientiel problématique, qui est considéré comme le cœur du réacteur en psychopathologie selon la thérapie d’acceptation et d’engagement. C’est cette tendance à vouloir échapper ou à contrôler sa propre expérience. L’acceptation, c’est beaucoup plus qu’une simple posture ; c’est également une manière d’aborder nos émotions. Il ne s’agit pas d’accepter l’inacceptable, mais de trouver une posture habile vis-à-vis de ce qui nous traverse, notamment nos émotions. C’est pour cela qu’on parle de flexibilité, car l’un des concepts clés est d’apprendre à être flexible plutôt que rigide.

Fabrice Midal : Tout à fait. La finalité de la thérapie d’acceptation et d’engagement est d’augmenter notre flexibilité psychologique. Cela signifie accroître notre capacité à répondre de manière diversifiée à ce que nous vivons, afin de pouvoir avancer vers ce qui donne du sens à notre vie. Cela s’oppose à la rigidité psychologique, qui correspond au fait de s’enfermer dans la lutte contre ce qui nous déplaît avant même de savoir si nous avons prise sur la situation. En général, ce qui nous engloutit, c’est la lutte contre l’insoluble. Quand la lutte est efficace, le problème est résolu et c’est terminé. Mais lorsqu’on s’enferme dans une lutte infructueuse, on peut se questionner sur le fait que l’on est peut-être en train de lutter contre quelque chose d’insoluble, et que cette stratégie est totalement contre-productive.

François Bourgognon : On dit souvent que nous sommes pris dans les sables mouvants de la souffrance. Cette métaphore est pertinente car, quand on est pris dans les sables mouvants, notre premier réflexe est de se débattre. Cela nous donne l’impression d’élever un peu au-dessus des sables, mais en réalité, on s’enfonce encore plus et on panique. Si nous ne connaissons pas la bonne stratégie, notre première idée est de se débattre encore plus fort. C’est ainsi que l’on s’enferme dans des stratégies de lutte contre-productives, convaincu que c’est la voie à suivre. Il n’y a personne pour nous dire « STOP, arrête de bouger, ce n’est pas comme ça que tu vas y arriver ». Il faut apprendre à faire corps avec la boue, c’est-à-dire augmenter au maximum notre surface de contact avec la boue et bouger tout doucement. C’est cela, l’acceptation.

Fabrice Midal : C’est très radical, en effet, car notre société très techniciste nous apprend que plus nous contrôlons les choses, mieux cela vaut. Cependant, la vérité est que notre monde extérieur et notre monde intérieur ne fonctionnent pas du tout de la même manière et ne sont pas régis par les mêmes règles. Dans notre monde extérieur, pour peu que nous ayons une prise sur ce que nous vivons, nos stratégies de lutte ou d’évitement peuvent fonctionner. Par exemple, si je me fais attaquer par un chien méchant, je vais fuir et me réfugier dans ma voiture ; cela fonctionne très bien. Si j’arrive chez moi et qu’il y a une fuite d’eau, je coupe l’arrivée d’eau et appelle le plombier ; cela marche aussi très bien. Mais dans notre monde intérieur, tout ce que nous mettons en place pour contrôler ou éviter nos pensées négatives, nos émotions inconfortables, nos sensations douloureuses, sera totalement inopérant.

François Bourgognon : Un exercice très connu en psychologie illustre cela : l’exercice de l’ours blanc. Pour ceux qui regardent cette vidéo, l’exercice consiste à fermer les yeux pendant 15 secondes et à ne surtout pas penser à un ours blanc. Essayez de tenir ces 15 secondes sans penser à un ours blanc. Que se passe-t-il ? On a souvent du mal à penser à autre chose, car la pensée de l’ours blanc persiste. Certains disent avoir réussi en pensant à une grenouille verte ou à un endroit sans ours blanc, mais en réalité, même ces pensées sont dirigées par l’intention de ne pas penser à un ours blanc. Cela montre que, vis-à-vis de ce qui se passe en nous, la lutte ou l’évitement est totalement contre-productif. Le seul moyen pour que l’ours blanc disparaisse est de l’accepter, de lui laisser la paix. C’est en le laissant tranquille qu’il finira par s’en aller tout seul. Tout ce que nous mettons en place pour essayer de l’éloigner risque de le rendre encore plus présent.

Fabrice Midal : Ce n’est pas du tout intuitif, mais ce qui fonctionne vis-à-vis de ce qui se passe en nous, même si cela nous déplaît ou est désagréable, c’est l’approche et l’accueil. Cela s’apprend et s’entraîne. Depuis que nous sommes petits, nous sommes surentraînés à être dans la lutte. On nous apprend que dans la vie, il n’y a pas de problème, seulement des solutions ; que quand on veut, on peut ; que si on échoue, c’est parce qu’on ne s’est pas battu assez fort. On nous dit de ne pas pleurer, de ne pas être anxieux, de ne pas se mettre en colère, de contrôler, de lutter. Nous avons internalisé cette idée qu’il faut toujours être dans la lutte, même si je ne dis pas qu’il ne faut jamais lutter. Il faut lutter là où cela a un sens, mais là où cela se retourne contre nous, il faut savoir faire autre chose. Vis-à-vis de ce qui se passe en nous, il est crucial de connaître la stratégie de l’acceptation.

François Bourgognon : Si on reprend l’exemple des sables mouvants, on voit bien que lorsque cela ne fonctionne pas et que l’on s’enfonce, notre premier réflexe est d’intensifier ce que nous avons déjà fait. Le premier réflexe est de se dire que cela ne marche pas parce que l’on ne le fait pas assez. On ne pense pas à la possibilité que la lutte puisse ne pas être la bonne stratégie. C’est cela qui explique nos problèmes comme le burnout et le stress. On ne sait faire que de multiplier les efforts pour résoudre le problème, pensant que cela nous aidera à franchir l’obstacle.

Fabrice Midal : Un des premiers signes du burnout est la difficulté à être efficace au travail, car on s’épuise. Les gens commencent à ressentir moins d’efficacité et ont du mal à être présents intellectuellement. La première réponse n’est pas de reconnaître qu’on est fatigué et de se reposer, mais de travailler encore plus pour compenser la baisse d’efficacité. Se reposer est souvent perçu comme une faiblesse. Il est important de comprendre que la thérapie d’acceptation et d’engagement remet en question beaucoup de choses, car elle propose une perspective différente de celle que nous avons internalisée.

François Bourgognon : En effet, être humain, c’est ressentir des émotions, et le courage n’existe pas sans la peur. Il n’y a pas de courage à faire quelque chose qui ne nous fait pas peur. Être fort, ce n’est pas être insensible ; c’est ressentir des émotions et faire de son mieux dans l’état où l’on se trouve pour avancer dans une direction qui a du sens pour nous. Ce n’est pas une question d’être en métal ou d’être insensible.

Fabrice Midal : Donc, comment faire concrètement pour accepter ? On peut commencer par comprendre intellectuellement que se battre contre ses émotions n’est pas une bonne stratégie. Un outil important en ACT est l’analyse de la lutte. Cela consiste à examiner ce que l’on a fait jusqu’à présent pour résoudre l’anxiété et évaluer comment ces stratégies ont fonctionné à court terme, mais échoué à moyen et long terme. Cette analyse montre que tout ce que nous faisons pour échapper à l’anxiété ne fonctionne qu’à court terme et nous éloigne de ce qui a du sens pour nous. Il est essentiel de reconnaître que nous ne sommes pas défaillants, mais simplement pris au piège dans des stratégies inefficaces. Cela nous permet de réinjecter de l’intelligence dans ce que nous vivons.

François Bourgognon : La première étape est de comprendre que nous ne sommes pas coupables, mais pris au piège. La deuxième étape consiste à chercher ce que nous pouvons faire de mieux, de plus opérant, plutôt que de continuer à nous abîmer dans des stratégies inefficaces. Cela implique de reconnaître que tout ce que nous mettons en place pour échapper à l’anxiété peut se retourner contre nous, et qu’il peut être plus utile d’accueillir cette anxiété pour récupérer l’énergie de la lutte et la mettre au service d’actions importantes qui donnent du sens à notre vie. Ce changement de perspective nécessite du travail et de l’apprentissage.

Francis Midal : Donc, tu parles d’une évolution dans la compréhension de la méditation et de la manière dont elle est souvent utilisée aujourd’hui. Comment la méditation est-elle présentée dans le contexte actuel, et en quoi cela diffère-t-il de ses intentions originelles ?

François Bourgognon : La méditation est souvent présentée comme un outil pour échapper à l’expérience, pour contrôler ses pensées et émotions afin de se sentir plus calme et performant. En réalité, la méditation, dans ses formes traditionnelles, visait à accueillir pleinement ce qui se passe, à accepter la douleur et les blessures, avec une approche d’attention, de bienveillance et d’écoute. Mais aujourd’hui, beaucoup de personnes utilisent la méditation pour éviter de ressentir des émotions ou pour se contrôler, ce qui est exactement à l’opposé de ce qu’elle devait être. Cette tendance moderne de la méditation comme technique d’évitement expérientiel est une dérive dangereuse, car elle renforce le piège de l’évitement et peut rendre les gens encore plus malheureux.

Francis Midal : Donc, tu affirmes que la méditation moderne est souvent mal utilisée. En revanche, comment l’approche ACT (Acceptance and Commitment Therapy) se positionne-t-elle par rapport à cela ?

François Bourgognon : L’ACT se distingue par sa manière d’intégrer la méditation et ses principes d’acceptation et de diffusion sans nécessairement recourir à des pratiques formelles de méditation. L’ACT aide les gens à travailler sur des processus comme l’instant présent, le soi comme contexte, l’acceptation, et la diffusion des pensées, mais en utilisant des exercices et des métaphores adaptés aux besoins individuels. Cela est particulièrement utile pour ceux qui sont en crise ou en dépression, où la méditation formelle pourrait être trop confrontante. L’ACT permet de travailler ces processus de manière plus ciblée et moins formelle, ce qui est souvent plus adapté dans un contexte de psychothérapie.

Francis Midal : En parlant d’ACT, tu as mentionné l’importance des valeurs et de l’engagement dans cette approche. Peux-tu expliquer pourquoi cela est si central et comment cela se distingue des objectifs ?

François Bourgognon : Les valeurs sont essentielles dans l’ACT parce qu’elles représentent les grandes orientations du cœur, ce qui donne du sens à nos actions. Contrairement aux objectifs, qui sont des buts à atteindre et se concentrent sur le futur, les valeurs sont des directions à suivre. Quand on agit en accord avec ses valeurs, on ressent un sentiment d’alignement et de réalisation. Les objectifs, une fois atteints, ne garantissent pas un sentiment d’accomplissement profond. Par exemple, se marier est un objectif, mais être aimant est une valeur. Les valeurs permettent d’orienter nos actions de manière plus significative et constante. Elles nous aident à nous aligner avec ce qui nous est réellement important, même lorsque les circonstances changent.

Francis Midal : Tu as aussi parlé de la crise du milieu de la vie, où les gens réalisent qu’ils ont coché toutes les cases sans se sentir véritablement accomplis. Comment la clarification des valeurs peut-elle aider dans ce contexte ?

François Bourgognon : Beaucoup de gens se retrouvent insatisfaits après avoir atteint les objectifs traditionnels parce qu’ils n’ont pas vraiment pris en compte leurs aspirations profondes. Clarifier ses valeurs aide à comprendre ce qui est véritablement important pour soi, au-delà des objectifs conventionnels. Cela permet de réorienter sa vie vers des actions qui sont en accord avec ses aspirations profondes, offrant ainsi un sentiment d’accomplissement plus profond et durable. En période de crise, comme pendant la pandémie, revenir à ses valeurs peut aider à trouver du sens et à agir de manière significative, même lorsque les objectifs spécifiques ne sont pas atteignables.

Francis Midal : Pour conclure, quels conseils donnerais-tu à quelqu’un qui cherche à découvrir ses valeurs et à les intégrer dans sa vie quotidienne ?

François Bourgognon : Je conseillerais de commencer par une réflexion sur ce qui est vraiment important pour vous, ce qui vous apporte un sentiment de satisfaction profonde. Posez-vous des questions comme : Qu’est-ce qui me rend fier ? Quelles sont les qualités que je veux incarner ? Une fois que vous avez identifié vos valeurs, essayez de trouver des moyens concrets, même petits, de les exprimer dans votre vie quotidienne. Les valeurs sont des directions, pas des objectifs à atteindre, alors concentrez-vous sur le processus d’alignement plutôt que sur des résultats fixes. Cela peut transformer votre expérience quotidienne et vous aider à trouver du sens même dans les moments difficiles.

Francis Midal : Merci beaucoup pour ces éclairages. Il est clair que la méditation et l’ACT, lorsqu’ils sont compris et utilisés correctement, peuvent offrir des outils puissants pour une vie plus alignée et significative.

François Bourgognon : Merci à vous. C’est toujours un plaisir de partager ces idées et de voir comment elles peuvent aider les gens à trouver un sens et à s’épanouir.

Francis Midal : Merci à tous d’avoir suivi cet épisode de Dialogue. N’oubliez pas de vous abonner à la chaîne et de partager vos commentaires. À bientôt !

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